mercredi 12 septembre 2012

Enfumages

Heureuses citoyennes et heureux citoyens que vous êtes :  vous avez le choix, car ça y'est, le débat sur la nouvelle constitution genevoise est lancé, par ses partisans sur le mode de l'éloge du consensus et de la «politique des petits pas», et par ses opposants sur le mode de la caricature :  leur conférence de presse de rentrée fut en effet un grand moment de rhétorique fossilisée, de réflexions ligneuses et de déni de lecture du texte soumis à l'approbation du bon peuple. Quant aux partisans du projet, présentant le lendemain leur coalition, c'est en le posant comme « rassembleur, moderne et novateur » qu'ils tentent de le vendre. Rassembleur ? Il ne l'est déjà plus. Moderne ? la modernité a toujours été une forme politique creuse, dans laquelle on peut mettre n'importe quoi. Novateur ? il faut le dire vite... Entre appel au consensus mou et falsification des textes, le débat commence dans l'enfumage.

Rhétorique fossilisée, réflexions ligneuses et déni de lecture : la bêtise au front bovin

Octobre, c'est encore la saison des gâteaux aux pruneaux. Et à Genève, cette année, d'un vote pour des prunes ? Si le projet de nouvelle constitution soumis le 14 octobre peuple genevois (ou plutôt à la portion congrue de ce peuple qui a le droit de faire, et aura accepté de faire, acte de vote), était acceptée, elle devrait encore, pour être ratifiée, passer un examen lors duquel le peuple genevois n'aura plus rien à dire ni à faire : celui de la « garantie fédérale ». En clair, c'est le Parlement fédéral  suisse qui dira si la constitution  de la République de Genève lui convient ou pas. Et si elle ne lui convient pas, le peuple de la République aura beau avoir voté ce projet, il se retrouvera le vote dans l'eau, avec un texte annulé ou amputé de ce qui ne convient pas à nos Chers Confédérés. Pour dire les choses autrement: au final, le vote de quelques dizaines de députés fédéraux zurichois pèsera plus que celui de plusieurs milliers de citoyen-ne-s de la République de Genève. Un vote pour des prunes, en somme. Mais un vote au niveau du débat qui est en train de s'instaurer entre partisans et adversaires du projet, et donc adversaires et partisans de la constitution actuelle, puisqu'il s'agit de la remplacer et que c'est bien, n'en déplaise à ceux qui refusent de le comprendre, sur deux textes que l'on vote : l'un en vigueur, l'autre devant l'abroger.

Au départ, le choix paraît simple, clair : le projet de la Constituante vous sied plus que la constitution actuelle ? alors votez oui. La constitution actuelle vous convient mieux que le projet de la Constituante ? Alors votez non. Vous attendez autre chose d'une Charte fondamentale de la République que ce que vous trouvez dans le projet ou dans le texte actuel ? Alors votez blanc... Mais bon sang de bois ! ne votez pas sans savoir sur quoi vous votez, et en prenant pour argent comptant ce que les uns disent du projet des autres, et les autres de la constitution des uns. Car si dans un camp on fait silence sur les faiblesses du texte qu'on propose, dans le camp d'en face, on tord carrément ce texte et la comparaison entre le projet de constitution et la constitution en vigueur, pour sortir de cette torsion quelques gouttes de parfaite mauvaise foi et de confusion volontaire entre «reculs» (il faut faire accroire que le projet est «rétrograde») et statu quo (il n'est que trop fidèle à la constitution actuelle).
Et c'est ainsi que les syndicats appellent à voter « non »  parce que le projet de la constituante ne dit rien sur le salaire minimum alors que la constitution actuelle n'en dit pas plus, que l'on dénonce un article posant l'action publique comme «complémentaire» de l'action privée alors que la constitution actuelle la pose comme « subsidiaire», c'est-à-dire secondaire, que l'on arrive à trouver un attentat contre la laïcité dans un texte qui affirme que l'Etat est laïc quand le texte en vigueur n'ose même pas prononcer le terme de « laïcité », et que le groupe pour une Suisse sans armée dénonce un scandale dans le fait que le projet de la Constituante rende possible l'utilisation de l'armée « à des fins civiles » mais oublie de préciser que c'est la constitution en vigueur qui autorise carrément le Conseil d'Etat à l'utiliser pour le « maintien de l'ordre public », comme le 9 novembre 1932...

Dans chacun des deux camps fortifiés qui catapultent l'un sur l'autre leurs paquets d'insanités péremptoires, on nous accusera -on nous accuse déjà- de trahison. Appeler à voter blanc, ce serait, pour les partisans du projet de constitution, favoriser son rejet -et pour les adversaires du projet, favoriser son acceptation. Le PS appelle à voter « oui »  ? en tant que socialistes nous trahirions le PS en appelant à voter blanc... la « gauche de la gauche » appelle à voter « non »? en tant que socialistes de gauche, nous trahirions la gauche socialiste.
Soit, acceptons l'étiquette de traître. C'est une belle étiquette, après tout : l'histoire n'a jamais avancé et n'a jamais été rendue supportable, que par les trahisons. Sans Judas, pas de christianisme. Sans trahison de l'ordre établi, pas de réforme, et moins encore de révolution. Et sans trahison de la révolution, la révolution mène plus sûrement au génocide qu'à l'avenir radieux. On se pare certes là un peu des plumes du paon, mais après tout, en trahissant le camp des « oui »  comme celui des « non » à la nouvelle constitution, on ne trahira jamais que la bêtise au front bovin de leurs argumentaires.


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