vendredi 16 septembre 2011

Au prétexte du naufrage annoncé de la Constituante genevoise

Le lien politique : adhésion ou contrat ?

Ce qui est en cause dans tout débat sur la réforme des institutions politiques, et ce que la Constituante genevoise, si elle avait fait son boulot, aurait du s'attacher à réformer, est la nature du lien ou du contrat politiques, et l’identité de qui le tisse ou le conclut. Qui est le Souverain ? Sur quoi s’exerce sa souveraineté ? Le choix se fait entre l’adhésion et le contrat: l’adhésion qui se fait à ce qui déjà existe, et le contrat qui créée ce qui sans lui n’existerait pas et avant lui n’existait pas. De la nature de ce choix découle la nature du lien politique, le type d’institutions matérialisant ce lien, l’étendue des droits et des libertés des individus formant le corps politique.

2012 : année Rousseau -et du naufrage constituant.

On aurait pu célébrer l'année Rousseau, en 2012, par le vote d'une nouvelle Constitution réécrivant le contrat social et politique qui fonde la République -on la célébrera vraisemblablement par le refus d'un projet stupidement revanchard, bâclé, indigne du temps passé et des moyens octroyés à sa ponte -mais que la Constituante va tout de même passer 14 séances à raboter, avant sans doute que le peuple n'en fasse des copeaux. Le débat fondamental n'aura pas eu lieu, et nous sommes toujours confrontés à la nécessité d’un choix entre deux conception antagoniques du politique, et donc des institutions : celle qui privilégie l’appartenance, et celle qui privilégie l’autonomie. Nous choisissons la seconde, mais nous savons vivre dans un monde bâti sur la première, cela seul suffisant à justifier la volonté de le changer –et d’en changer les institutions. L’adhésion ou le contrat fondent des rapports très différents aux institutions politiques, et au corps politique lui-même –deux types idéaux qui sont un peu l’un à l’autre ce que la communauté est à la société, ou la détermination à l’autonomie. Là où l’adhésion entraîne l’appartenance, le contrat établit un rapport d’autonomie ; quand l’appartenance fonde une communauté ou une nation, le contrat crée une république. Ainsi est-on membre de ce à quoi l’on adhère et sujet du pouvoir qui y règne, quand on est citoyen de ce que l’on a créé par contrat : le sujet est un composant du corps politique, le citoyen constitue ce corps. Il s’agit bien de deux logiques différentes, contradictoires : dans le première, l’individu n’est rien sans ce à quoi il adhère, nation ou tribu ; il n’est quelque chose politiquement que par ce dont il est membre. Sa liberté, ses droits, son identité politique lui sont octroyés en échange de son adhésion, et sont le prix du lien qu’est cette adhésion. En revanche, la logique du contrat est d’autonomie individuelle et collective : l’individu est fondateur d’un ordre politique dont il reste, pour tout ce qui le concerne, le maître, comme il est maître de son association aux autres ; il est seul juge de son propre respect des termes du contrat qu’il a passé, qu’il peut renégocier ou rompre. On reconnaît certes ici la différence entre des régimes politiques fondés sur le principe de soumission et des régimes politiques fondés sur le principe d’autonomie, mais plus profondément encore, à l’intérieur même des normes formelles de la démocratie et des régimes qui s’y réfèrent, une contradiction radicale entre l'Etat et la cité : l’apparente submersion historique de la seconde par le premier, depuis plus de deux siècles, n’a rien résolu de cette contradiction, pas plus que la « supranationalité » continentale (l’Union Européenne), mondiale (l’ONU) ou économique (l’ordre marchand et financier) n’en est le dépassement. La démocratie, en somme, reste à inventer.