mardi 7 septembre 2010

Fonds de tiroir

Comme il nous arrive d'ironiser bêtement sur la Constituante genevoise, on peut aussi saluer ceux de ses votes qui consacrent des avancées : le 15 juin, une majorité composite (la gauche et l'extrême-droite) a imposé au camp « bourgeois » une proposition de facilitation de l'exercice des droits populaires, en abaissant le nombre de signatures nécessaires à l'aboutissement d'un référendum (5000 au lieu de 7000) et d'une initiative populaire (7000 au lieu de 10'000), le nombre de signatures nécessaires pour les référendums et initiatives populaires municipaux étant également abaissé (de 4000 à 3000 pour un référendum en Ville) Du coup, les partis de droite et le groupe patronal, peu habitués à se retrouver minorisés, et qui proposaient une augmentation du nombre de signatures nécessaires à l'exercice de la démocratie directe, ont dénoncé un affaiblissement des institutions et une menace de blocage politique... Et le radical Murat Alder a menacé (on tremble) : « Nous nous opposerons à toute constitution qui proposerait une diminution du nombre de signatures pour les référendums et initiatives populaires ». C'est vrai, ça : la démocratie, ça fonctionnerait tellement mieux si le peuple ne pouvait pas s'en mêler...

Le 1er juillet, la majorité de l'Assemblée plénière de la Constituante a balayé les propositions visant à introduire des quotas ou la parité des genres dans les institutions politiques élues, et a même refusé la prudente proposition demandant que « la loi encourage les partis à présenter pour toutes les élections au système proportionnel des listes comportant un nombre égal de candidatures féminines et masculines », cela sans nullement préjuger du choix des électrices et des électeurs. Le législateur n'aura donc même pas comme tâche d'encourager concrètement (et pas seulement par une recommandation purement rhétorique) l'égale représentation des femmes en politique par des mesures minimales, regrette le groupe socialiste à la Constituante, qui, dans un communiqué, « ré-affirme son soutien au principe fondamental de l'égalité femme-homme, et donc à des mesures visant à limiter la sous-représentation des femmes dans les institutions politiques » . Et de conclure : « La Constitution de Genève du XXIème siècle sera égalitaire ou ne sera pas ». Au cas où on aurait besoin d'exemples étrangers, voire exotiques, on vous en souffle un : le 14 mai 2010, le Sénégal a adopté une loi instituant la parité absolue homme-femme dans les assemblées totalement ou partiellement électives...

La Constituante poursuit sur la voie glorieuse du retour en arrière vers la constitution de 1815 : sa majorité de droite a ratifié en plénière, contre le voeu de la commission qui avait travaillé sur le sujet, la réintroduction dans la constitution de l'impossibilité d'être à la fois fonctionnaire et député. Après avoir réduit les droits des locataires et dissout dans l'insignifiance rhétorique le principe d'égalité des genres, la constituante ressort donc des archives une incompatibilité abolie par le peuple en 1998. On attend avec impatience la réintroduction du suffrage censitaire, la suppression de la municipalité de la Ville de Genève et la proclamation du protestantisme comme religion d'Etat. La «Tribune de Genève » suggère qu'à gauche, on n'espère plus qu'en un « grand marchandage final » pour rééquilibrer le projet et le rendre acceptable par le peuple. Mais encore faudrait-il que la gauche en question ait quelque chose à proposer, dans ce marchandage. C'est-à-dire une avancée politique à laquelle renoncer, en échange du renoncement par la droite des reculs qu'elle a réussi à imposer. Et on voit mal ce à quoi la gauche pourrait renoncer pour amadouer la droite. A part l'éligibilité municipale des étrangers et l'abaissement du nombre de signatures pour les référendums et les initiatives.

Après le vote de la proposition de la droite de réintroduire l'incompatibilité entre le mandat de député et le statut d'employé de la fonction publique, le groupe socialiste à la Constituante déclare dans un communiqué : « la droite défend ce vote en soulignant les "conflits d'intérêts" potentiels importants. Or, les conflits d'intérêt potentiels abondent dans le secteur privé. Parmi les député-e-s siégeant actuellement au parlement, on retrouve, entre autres, le directeur de la Chambre de commerce et de l'industrie genevois, le secrétaire général et une membre du comité de la Chambre genevoise immobilière, la présidente de la Fédération du commerce genevois qui est aussi présidente de l'Union des Intérêts de la Place Financière lémanique et trésorière de l'Union des Associations Patronales Genevoises, ou encore le secrétaire général de la Fédération des Métiers du Bâtiment Genève ». Ben oui, et alors ? Zont rien compris, les socialos. Porte-valise patronal et député de droite, c'est pas un conflit d'intérêts, c'est juste un prolongement naturel...