mardi 3 juillet 2012

Constituante : les jeux sont faits, rien ne va plus ?

Impairs, impasses et manques 

Comme l'annonçait, sans grand risque de se tromper, « Le Temps », la Constituante genevoise « ne déclenchera pas de révolution » avec son projet de nouvelle constitution cantonale. Un projet de constitution « sans audace » après que le choix ait été fait du « raisonnable », selon le mot de la coprésidente verte de l'assemblée, Marguerite Contat Hickel. Le choix du « raisonnable » ou le calcul délibéré du terne, pour assurer au texte une majorité, même plus résignée qu'enthousiaste, lorsqu'il sera soumis au vote populaire, en octobre prochain ? Les fronts sont déjà presque dessinés pour ce vote : la droite démocratique, le PS, les Verts appelleront à voter « oui », solidaritéS et l'AVIVO à voter « non » et on n'a plus guère d'incertitudes, mesurées, que sur le prononcement de l'extrême-droite et des associations. Mais quelque mot d'ordre que l'on finisse par donner, la question qui se posera est bien : « A quoi bon cet exercice de réécriture ? »... Et donc à quoi bon l'accepter ? Et même : à quoi bon le refuser ? 

Ni l'honneur d'un enthousiasme, ni l'indignité d'une réprobation... 

La Constituante genevoise n'est pas seule, ni même première, responsable de la grisaille de sa proposition : la loi l'instituant ne lui laissait la possibilité que de présenter un seul texte, lui donnait un temps largement excessif pour le faire, et la faisait pratiquement élire sur le même mode que le Grand Conseil (les apparentements en moins, et avec un quorum un peu plus bas, mais sans ouverture aux étrangers, sans abaissement du droit de vote et d'élligibilité, sans parité des genres sur les listes, et sans assez d'incompatibilités entre les mandats de constituants et d'autres mandats politiques). Résultat : une assemblée élue avec une abstention atteignant les deux tiers du corps électoral, à 80 % masculine, où les plus de 60 ans étaient sur-représentés et les vieilles gloires politiques pouvaient reproduire leurs vieilles querelles. Le résultat final coule de cette source. Ses principales innovations tiennent du gadget pour ce qui concerne l'architecture institutionnelle de la République : la législature serait prolongée d'un an, les député-e-s seraient flanqué-e-s de suppléant-e-s, les élections aux exécutifs se feraient à la majorité absolue au premier tour, le Conseil d'Etat serait présidé par la même personne pendant cinq ans, Genève se doterait d'une Cour constitutionnelle... des changements formels, sans grande incidence sur la qualité d'une démocratie... sauf à la péjorer (comme le fait la fixation du nombre de signatures en fonction du corps électoral) ou à atténuer le contrôle que peut exercer le peuple sur ses élus (c'est à cela qu'aboutit, en l'absence d'un droit populaire de révocation des élus, l'allongement de la législature). 

Le texte qui sera soumis au peuple en octobre contient cependant certaines avancées. Il implique aussi des reculs. Il pèse surtout de son poids de renoncement aux changements. Le « bon » l'emporte-t-il sur le «mauvais» ou ne fait-il que le compenser ? Le «mauvais» l'emporte-t-il sur le bon ou ne fait-il que le contrebalancer, comme dans un marchandage de souk (les fameux « accords de convergences » entre groupes pour minimiser le risque d'un refus populaire ? Certaines associations ont déjà soupesé le texte, et ont déduit de cette pesée leur mot d'ordre pour octobre : La Fédération genevoise des associations de personnes handicapées a pointé d'importantes innovations dans le projet de nouvelle constitution cantonale, ce qui la conduit à soutenir ce projet: accès garanti aux lieux publics, adaptabilité des nouvelles constructions, droit à l'assistance personnelle, reconnaissance de la langue des signes, meilleure protection des droits politiques des personnes sous tutelle... En revanche, la campagne ViVRe (Vivre Voter Représenter), qui a défendu l'extension des droits politiques aux étrangers et considère que le refus final de cette extension dévalue totalement le projet de constitution, appellera à refuser ce projet. Mais le travail des partis politiques est autre que celui, parcellaire, des associations, des lobbies et des groupes d'intérêt : il est, il doit être, un travail d'examen global. 
Alors, qu'en faire, et qu'en dire,  de ce texte ? Qu'on le confronte à nos ambitions (la « feuille de route » socialiste, par exemple), au statu quo (la constitution actuelle) ou à nos craintes (un recul sur des enjeux essentiels), et le brandir avec enthousiasme paraîtra aussi ridicule que le présenter comme un manifeste néo-libéral : il ne mérite ni cet honneur, ni cette indignité. Pour que l'on puisse le soutenir avec enthousiasme ou le condamner avec fureur, il lui faudrait une force, une ambition, une radicalité qu'il n'a pas. Ni dans un sens (de gauche), ni dans l'autre (de droite) : cette eau tiède ne brûle ni ne glace. Et qu'au final, le peuple souverain l'accepte ou la refuse ne changera pas grand chose : si elle était refusée,. ses quelques avancées pourraient faire l'objet d'initiatives modifiant la constitution actuelle, si elle était acceptée ses nombreuses insuffisances pourraient être compensées par la même méthode. 
On n'appellera pas ici à l'abstention en octobre prochain, lorsque le texte sera soumis au peuple : ce serait une solution de facilité, trop confortable pour être significative, l'abstention s'annonçant d'ores et déjà, sinon massive, du moins majoritaire. 
Dire « oui » ? Ce serait manifester une adhésion à un texte qui ne mérite guère qu'une indulgence. 
Dire « non » ? La tentation en est forte, mais ce « non » témoignerait plus d'une attente déçue que d'un refus fondamental. 
Et si la réponse à la question « tout ça pour ça ? » passait par un appel au vote blanc ?

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