samedi 16 août 2008

Démocratie et territoire

Démocratie et territoire (résumé*)

1.
Les sociétés humaines, les collectivités humaines, sont désormais, partout, organisées politiquement par l'Etat.

2.
Cette normalisation du politique par l'Etat est exprimée dans les constitutions, qui peuvent prendre, selon le niveau d'ambition intellectuelle des constituants, la forme du constat notarial ou celle du programme politique.

3.
Une constitution démocratique organise la démocratie, mais à l'intérieur du territoire de l'Etat dont elle est la constitution. La Constitution genevoise, c'est le texte fondamental d'une collectivité publique qui est certes le centre de la région genevoise, mais qui n'en est plus que le centre. Et cette constitution, dans sa forme actuelle, est le vestige d'un temps où le territoire de la Genève politique (celui que la constitution structure) coïncidait avec celui de la Genève réelle : un temps où l'on vivait, travaillait, consommait, se délassait, se cultivait et était politiquement actif dans le même espace. Ce temps est révolu. Le territoire que va organiser politiquement la nouvelle constitution n'est plus le territoire de la Genève réelle : il n'est plus que le territoire de la Genève institutionnelle de la fin du XIXe siècle.

4.
Le modèle démocratique traditionnel (celui qui rattache chaque citoyen-ne à un espace politique local déterminé, et à un seul) a survécu à la situation et aux rapports sociaux qui le justifiaient, lorsqu'on habitait, travaillait et consommait en un même espace politique, et donc que l'on exerçait ses droits politiques, et s'acquittait de l'essentiel de ses contributions fiscales locales, en ce seul et même espace. Aujourd'hui, les lieux politiques d'habitation, de travail, de consommation et de loisirs sont dissociés.

5.
Le territoire de l'Etat n'est pas le territoire des hommes et des femmes. Il est le territoire des institutions, pas celui de la société. Et les premières sont toujours en retard sur la seconde. C'est ce retard que les réformes (notamment les réformes constitutionnelles) tentent de combler et que, lorsque les réformes n'y parviennent pas, comblent les révolutions.

6.
Une Constitution ne s'applique qu'à un territoire, dans un ordre politique normé par l'Etat (l'Etat, en tant que forme arbitraire d'organisation politique). Hors de ce territoire, cette constitution ne s'applique pas. La Constitution genevoise ne s'appliquera donc qu'au territoire genevois -mais au territoire politique de la République de Genève, pas au territoire réel, physique, de la région genevoise.
La Constitution genevoise s'applique à 45 communes : la Genève réelle en comprend 204.
La Constitution genevoise s'applique à 450'000 habitants : la Genève réelle en compte le double.

7.
Une nouvelle constitution genevoise aura d'autant plus de sens qu'elle prendra en compte le débat qui, en Suisse, porte sur la place des villes dans la structure institutionnelle du pays.

8.
Tout Genève n'est plus qu'une ville (une ville réelle dont la Ville politique est le centre, sans être le tout). Il y a nécessité de construire politiquement la région. Cette nécessité passe par la création d'une Communauté urbaine transfrontalière à partir des communes et autour de la commune centrale, maintenue et renforcée. Cette Communauté n'aura de légitimité que dans la mesure où elle sera dotée d'institutions démocratiques.

9.
Il n'y a plus de campagne genevoise : il n'y a plus qu'un espace vert autour de la ville.

10.
La démocratie est un processus de décision : elle se définit par les droits politiques qu'elle accorde, le champ de ces droits, et le champ des bénéficiaires de ces droits.
La constitution et la loi définissent donc, en les bornant, les droits politiques. Et puisqu'on est dans une organisation politique reposant sur l'Etat, ces bornes sont territoriales . Nous avons donc à trouver le moyen de déterritorialiser les droits politiques. Et le paradoxe, c'est que nous ne pouvons les déterritorialiser qu'en créant un nouveau territoire politique : la région.

11.
Déterritorialiser les droits politiques, cela signifie construire un espace politique qui corresponde à l'espace réel, et dans lequel les droits politiques puissent être exercés sur les objets qui concernent cet espace. Nous avons donc à inventer, à partir des 200 communes de la région genevoise, un nouvel espace politique : urbain, régional, transfrontalier, démocratique.

12.
La commune, c'est d'abord, et surtout, le seul espace institutionnel qui soit commun à Genève, Vaud et la France. C'est donc le seul espace institutionnel à partir duquel il soit possible de construire une région genevoise. Il s'agit cependant toujours d'un espace institutionnel -autrement dit : d'un territoire géographique, et pas d'un territoire social.

13.
La Commune, c'est ensuite, s'agissant de la Ville de Genève, le centre de la région. Son centre géographique, social, politique, économique, culturel. Et sa source historique. La Commune préexiste à la République (qui préexiste au canton).

14.
La Commune, c'est enfin une sorte de quintessence du service public, en ce sens que presque dépourvue, du moins à Genève, d'appareils répressifs, sa légitimité ne tient qu'aux prestations qu'elle dispense et aux services qu'elle offre.

15.
Tout se passe comme si une part des énergies politiques disponibles était délibérément affectée à la tâche de nier l'évidence et d'empêcher l'émergence d'une communauté urbaine " collant " à la réalité de l'agglomération.

16.
La structure du pouvoir politique est de plus en plus décalée de la réalité du tissu urbain, et ancrée sur le refus absurde d'une évidence : la communauté de destin de la " Genève suisse " et de la " Genève française ".

17.
La Communauté urbaine est un instrument de l'intégration européenne, et de l'intégration de Genève à l'Europe.

18.
Physiquement, matériellement, la communauté urbaine genevoise existe (il n'est besoin pour s'en convaincre que de monter au Salève et de regarder la réalité de la ville qui s'étend au pied de la montagne : elle est continue, et aucune " frontière ", ni municipale, ni cantonale, ni nationale, ne s'y distingue. La région n'est pas un projet, c'est une réalité, physique et sociale.

19.
L'exercice constituant a ceci d'essentiel, que son processus importe bien plus que son résultat -et que le débat constituant importe bien plus que la constitution dont il accouchera.

20.
Un certain nombre de " droits acquis " risquent en effet d'être remis en cause, mais aucun mouvement de changement politique n'a jamais pu poser comme principe, sans se nier lui-même en tant que mouvement de changement, l'intangibilité des acquis : la première abolition que la Révolution française eut à commettre n'est pas celle de la monarchie, mais celle des corporations.

21.
Qu'on se rassure, cependant : la procédure choisie à Genève limite le risque d'expérimentation audacieuse -elle serait même plutôt de nature à garantir la production d'eau tiède qu'à faire courir le risque d'un ébouillantement : tout concourt à la production d'un texte consensuel, par une assemblée formée en grande partie de représentants du milieu politique local.

22.
La démocratie naît de la Cité, non de la pâture, et la République naît de la ville, pas du hameau.

23.
Le développement d'une réelle autonomie municipale est, fondamentalement, un projet démocratique : la faiblesse de l'autonomie communale a forcément pour conséquence la faiblesse du contrôle par les citoyens des institutions politiques, et renvoie à l'irréalité tout projet de démocratie locale ; une municipalité sans pouvoir ne peut en déléguer aucun, et un espace territorial sans espace politique ne peut garantir aucun droit.

24.
Genève a été une République longtemps avant que de se résigner à être un canton, et n'a pu être une République que parce qu'elle avait été une commune. Il s'agit aujourd'hui d'inventer pour la ville réelle un espace politique qui lui corresponde, et qui, surtout, corresponde aux pratiques sociales. Sans quoi, la démocratie ne sera plus qu'un décor institutionnel, plaqué sur une réalité sociale échappant totalement aux processus de décision politique. Et totalement soumise, en revanche aux processus économiques.

25.
Finalement, le choix n'est pas entre plus ou moins de communes, de Ville, de canton ou de région. Il est entre plus ou moins de politique, contre le toujours plus d'économique.
Genève va élire une constituante, pas désigner un cabinet d'audit. Il nous revient donc de la peupler de militants, et non de la garnir de comptables.

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