jeudi 1 août 2013

Elle est née, la nouvelle constitution genevoise...

Le changement,  c'est pas maintenant...

Depuis le 1er juin, Genève a une nouvelle constitution, mollement acceptée le 14 octobre dernier par la petite part du peuple qui consentit à choisir entre le texte proposé par l'Assemblée constituante et le texte alors en vigueur. Ou pour, comme nous le suggérions, voter blanc, l'ancienne et la nouvelle constitution, ne méritant ni l'une, ni l'autre, notre soutien.  Cette nouvelle constitution,  il faudra attendre encore cinq ans pour qu'elle puisse déployer ses effets, même si les Verts la proclament déjà  « la Constitution la plus écologiste de Suisse » (en oubliant au passage qu'elle a repris de l'ancienne charte la proclamation absurde de la  « liberté de choix du mode de transport »...), et on ne sait même pas quel ordre de priorités le Conseil d'Etat, chargé de la traduire en projets de lois, va donner à ce chantier qui va occuper pendant toute une législature le Grand Conseil élu cet automne, et qui devra adapter 287 lois et 448 règlements à la nouvelle donne constitutionnelle, quelques référendums n'étant pas exclus si les modifications proposées sont contestées.


Faire croire qu'on va tout changer pour que rien ne change ?

Genève a donc depuis deux mois une nouvelle constitution cantonale. Elle va changer quelques habitudes, elle ne changera évidemment pas le système politique. Elle ne pouvait d'ailleurs le faire, corsetée qu'elle était à la fois par le droit supérieur, fédéral, et par les rapports de force à l'intérieur de l'assemblée constituante. Un esprit plus chagrin que le nôtre en dirait que ce fut « beaucoup de bruit pour rien ». Ou du moins pour pas grand'chose. On se contentera d'en dire ce que Tancrède disait au prince de Salina : il faut faire croire qu'on va tout changer pour que rien ne change.
Car en effet, au-delà de la cosmétique institutionnelle, cette nouvelle constitution ne va pas changer au cadre politique genevois.. Le « corps électoral » n'a pas changé : les étrangers n'ont toujours pas de droits politiques au niveau cantonal, l'âge de la majorité politique n'a pas été abaissé, la parité des genres sur les listes électorales relève toujours du bon ou mauvais plaisir des partis, l'exclusion, par le quorum, de milliers de citoyennes et citoyens de toute représentation parlementaire subsiste... quelques modifications vont cependant s'imposer aux acteurs politiques de la République : les mandats parlementaires et exécutifs cantonaux et communaux passent de quatre à cinq ans, le Conseil d'Etat et les Conseils administratifs seront désormais élus avec l'exigence d'une majorité absolue au premier tour, des député-e-s suppléant-e-s vont pouvoir remplacer les titulaires pendant leurs absences et le nombre de signatures exigibles pour les référendums et initiatives populaires sera désormais fixé en proportion du corps électoral. C'est le « pas grand chose » du changement... Quant aux droits fondamentaux, plus nombreux à être proclamés, si le nouveau texte les pose comme références, il n'impose (encore) rien à l'Etat en ce qui concerne leur concrétisation -et on doute encore qu'ils puissent être « opposables », c'est-à-dire utilisés pour saisir la justice de leur violation. Leur proclamation, cependant, ne peut être tenue pour inutile : à défaut de pouvoir s'en servir pour intenter des actions judiciaires, on peut s'en servir pour justifier des actions politiques et mettre les institutions de l'Etat devant leurs responsabilités, en même temps que les partis politiques qui ont appelé à approuver ce texte mais n'entendent pas concrétiser les droits qu'il proclame, devant leurs contradictions, leurs hypocrisies et leurs pusillanimités.
Et puis, il y a tous les sujets « chauds » sur lesquels les constituants ont délibérément choisi de faire l'impasse, rendant leur projet nettement moins intéressant pour le rendre moins clivant et désarmer quelques oppositions, tous ces sujets sortis par la porte et qui vont néanmoins rentrer par la fenêtre : ainsi des droits politiques des étrangers (les Verts ont déposé un projet de loi pour les accorder aux étrangers résidant en Suisse depuis plus de cinq ans) et de l'imposition sur le lieu de résidence seulement (là, c'est le Conseil d'Etat qui a déposé un projet, privant notamment la Ville de Genève d'au moins 113 millions de francs de recettes fiscales).

Bref, la nouvelle constitution, on va politiquement vivre avec, comme on avait vécu avec l'ancienne constitution. On aura à y ajouter ce qui y manque, à y changer ce qui doit l'être, à en extirper ce qui n'a rien à y faire, mais on va s'en servir comme on s'était servis de la précédente, on va utiliser ses dispositions comme on avait utilisé les dispositions de la défunte. On a changé d'instrument, pas de travail, ni d'objectifs. Et le nouvel instrument n'est ni meilleur, ni pire, que l'ancien. D'ailleurs, le Parti socialiste vient de l'inaugurer en lançant la première initiative populaire selon les nouvelles dispositions, et, comme lui, qui était favorable au changement de charte fondamentale, la « gauche de la gauche », qui y était plus que défavorable, qui y était totalement allergique, en usera comme elle avait usé de celle qu'elle avait cru bon de sanctifier, alors qu'elle ne le méritait guère. Entre les apologies extatiques des uns et les condamnations caricaturales des autres, va se dessiner le trait majeur de la nouvelle constitution genevoise : la continuité, non dans le « changement », mais, bien plus modestement, dans l'adaptation. On a donc rafraîchi le tableau, sans changer le cadre.
ça valait bien la peine de se faire pour si peu des procès respectifs en trahison et en archaïsme...

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