Le changement, c'est pas maintenant...
Depuis le 1er juin, Genève a une nouvelle constitution, mollement
acceptée le 14 octobre dernier par la petite part du peuple qui
consentit à choisir entre le texte proposé par l'Assemblée
constituante et le texte alors en vigueur. Ou pour, comme nous le
suggérions, voter blanc, l'ancienne et la nouvelle constitution, ne
méritant ni l'une, ni l'autre, notre soutien. Cette nouvelle
constitution, il faudra attendre encore cinq ans pour qu'elle
puisse déployer ses effets, même si les Verts la proclament déjà «
la Constitution la plus écologiste de Suisse » (en oubliant au
passage qu'elle a repris de l'ancienne charte la proclamation
absurde de la « liberté de choix du mode de transport »...), et on
ne sait même pas quel ordre de priorités le Conseil d'Etat, chargé
de la traduire en projets de lois, va donner à ce chantier qui va
occuper pendant toute une législature le Grand Conseil élu cet
automne, et qui devra adapter 287 lois et 448 règlements à la
nouvelle donne constitutionnelle, quelques référendums n'étant pas
exclus si les modifications proposées sont contestées.
Faire croire qu'on va tout changer pour que rien ne change ?
Genève a donc depuis deux mois une nouvelle constitution
cantonale. Elle va changer quelques habitudes, elle ne changera
évidemment pas le système politique. Elle ne pouvait d'ailleurs le
faire, corsetée qu'elle était à la fois par le droit supérieur,
fédéral, et par les rapports de force à l'intérieur de l'assemblée
constituante. Un esprit plus chagrin que le nôtre en dirait que ce
fut « beaucoup de bruit pour rien ». Ou du moins pour pas
grand'chose. On se contentera d'en dire ce que Tancrède disait au
prince de Salina : il faut faire croire qu'on va tout changer pour
que rien ne change.
Car en effet, au-delà de la cosmétique institutionnelle, cette
nouvelle constitution ne va pas changer au cadre politique
genevois.. Le « corps électoral » n'a pas changé : les étrangers
n'ont toujours pas de droits politiques au niveau cantonal, l'âge de
la majorité politique n'a pas été abaissé, la parité des genres sur
les listes électorales relève toujours du bon ou mauvais plaisir des
partis, l'exclusion, par le quorum, de milliers de citoyennes et
citoyens de toute représentation parlementaire subsiste... quelques
modifications vont cependant s'imposer aux acteurs politiques de la
République : les mandats parlementaires et exécutifs cantonaux et
communaux passent de quatre à cinq ans, le Conseil d'Etat et les
Conseils administratifs seront désormais élus avec l'exigence d'une
majorité absolue au premier tour, des député-e-s suppléant-e-s vont
pouvoir remplacer les titulaires pendant leurs absences et le nombre
de signatures exigibles pour les référendums et initiatives
populaires sera désormais fixé en proportion du corps électoral.
C'est le « pas grand chose » du changement... Quant aux droits
fondamentaux, plus nombreux à être proclamés, si le nouveau texte
les pose comme références, il n'impose (encore) rien à l'Etat en ce
qui concerne leur concrétisation -et on doute encore qu'ils puissent
être « opposables », c'est-à-dire utilisés pour saisir la justice de
leur violation. Leur proclamation, cependant, ne peut être tenue
pour inutile : à défaut de pouvoir s'en servir pour intenter des
actions judiciaires, on peut s'en servir pour justifier des actions
politiques et mettre les institutions de l'Etat devant leurs
responsabilités, en même temps que les partis politiques qui ont
appelé à approuver ce texte mais n'entendent pas concrétiser les
droits qu'il proclame, devant leurs contradictions, leurs
hypocrisies et leurs pusillanimités.
Et puis, il y a tous les sujets « chauds » sur lesquels les
constituants ont délibérément choisi de faire l'impasse, rendant
leur projet nettement moins intéressant pour le rendre moins clivant
et désarmer quelques oppositions, tous ces sujets sortis par la
porte et qui vont néanmoins rentrer par la fenêtre : ainsi des
droits politiques des étrangers (les Verts ont déposé un projet de
loi pour les accorder aux étrangers résidant en Suisse depuis plus
de cinq ans) et de l'imposition sur le lieu de résidence seulement
(là, c'est le Conseil d'Etat qui a déposé un projet, privant
notamment la Ville de Genève d'au moins 113 millions de francs de
recettes fiscales).
Bref, la nouvelle constitution, on va politiquement vivre avec,
comme on avait vécu avec l'ancienne constitution. On aura à y
ajouter ce qui y manque, à y changer ce qui doit l'être, à en
extirper ce qui n'a rien à y faire, mais on va s'en servir comme on
s'était servis de la précédente, on va utiliser ses dispositions
comme on avait utilisé les dispositions de la défunte. On a changé
d'instrument, pas de travail, ni d'objectifs. Et le nouvel
instrument n'est ni meilleur, ni pire, que l'ancien. D'ailleurs, le
Parti socialiste vient de l'inaugurer en lançant la première
initiative populaire selon les nouvelles dispositions, et, comme
lui, qui était favorable au changement de charte fondamentale, la «
gauche de la gauche », qui y était plus que défavorable, qui y était
totalement allergique, en usera comme elle avait usé de celle
qu'elle avait cru bon de sanctifier, alors qu'elle ne le méritait
guère. Entre les apologies extatiques des uns et les condamnations
caricaturales des autres, va se dessiner le trait majeur de la
nouvelle constitution genevoise : la continuité, non dans le «
changement », mais, bien plus modestement, dans l'adaptation. On a
donc rafraîchi le tableau, sans changer le cadre.
ça valait bien la peine de se faire pour si peu des procès
respectifs en trahison et en archaïsme...
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