dimanche 18 novembre 2012

Constitution : Ne pas tourner la page, la réécrire !

Les lendemains d'hier ont certes été difficiles pour certains, et les rancœurs peinent peut-être encore à se dissiper, mais il n'est tout de même pas trop tôt pour essayer à la fois de comprendre ce qui s'est passé, pourquoi cela s'est passé, et ce qu'il convient de faire maintenant  - d'autant que dans le camp du « non de gauche » comme dans celui du « oui mais », ce qui prévaut désormais, au moins publiquement, est bien l'attitude qui convient :se remettre au travail, lancer les propositions qui intégreront dans la nouvelle constitution ce qui y manque, en expurgeront ce qui la dépare et y reformuleront ce qui mérite de l'être. Il s'agit donc moins de tourner la page que de la réécrire. En attendant, comme l'assassin, paraît-il, revient toujours sur les lieux de son crime, il convient que le traître revienne sur ceux de sa traîtrise, ne serait-ce que pour en savourer les quelques effets positifs (moins déterminants qu'espérés, mais tout de même... ). Et ce regard retrospectif posé, Judas pourra s'en aller se ressourcer sur une terre où règne un débat politique apaisé, serein, portant sur de grands enjeux rationnellement analysés et incitant à des actes militants porteurs d'espérance et d'alternative. En Corse, donc.

« Et maintenant, que vais-je faireuh... »


Résumons donc : ce qui nous a séparé du reste de la gauche, à la fois du PS et des Verts (pour autant que l'on puisse encore placer ces derniers à gauche) et de la « gauche de la gauche », mais également des syndicats ou de l'Avivo etc... tient en deux divergences : l'une sur la nature du scrutin, l'autre sur la nature du texte proposé et celle du texte qu'il devait remplacer. La nature du scrutin : formellement, on n'avait à se prononcer que sur un seul texte, celui issu de la Constituante. Et c'est sur ce seul texte que s'est arqueboutée la campagne de la gauche de la gauche. Or pour nous, il y avait deux textes en jeu, puisque celui proposé devait en remplacer un autre, et qu'on avait donc le choix entre les deux -celui en vigueur, la constitution de 1847 et ses 130 modifications, et celui en suspens, le projet de la constituante. La nature des textes, ensuite : pour les tenants du « non » de gauche, le texte de la constituante était si mauvais, si dangereux, si régressif, que tout devait être fait et dit pour qu'il soit rejeté; pour les tenants du « oui » de gauche, le texte en vigueur était si confus, si contradictoire, si obsolète, qu'il s'imposait de le renvoyer aux archives. Et pour nous, les deux textes étant, quoique inégalement, mauvais, il ne convenait d'en soutenir aucun -le seul moyen de le faire savoir étant d'appeler à voter blanc.

Notre objectif était double : arithmétique et politique. Arithmétiquement, il s'agissait de se glisser comme un coin entre le « oui » et le « non » pour faire en sorte que ni l'un, ni l'autre ne soit majoritaire sur l'ensemble des bulletins rentrés. Ce premier objectif n'a été atteint que dans trois grandes communes : Genève, Carouge et Lancy, et dans ces trois communes, où le « non » ne l'a emporté que de justesse, c'est le déplacement d'intentions de votes « oui » vers un vote blanc qui a permis au « non » de s'imposer. Dans les autres grandes communes (Vernier, Meyrin, Onex, trois bastions du MCG qui appelait à voter «non», et trois communes où la gauche de la gauche est inexistante) le « non » eut suffisamment d'avance pour que le vote blanc ait été inutile et indolore.
Politiquement, il s'agissait par le vote blanc de délégitimer les deux textes concurrents, en les renvoyant dos à dos, côte à côte ou face à face, en faisant montre d'un refus de soutenir l'un ou l'autre, faute de pouvoir les refuser les deux ensemble. Avec 2,1 % du total des bulletins rentrés, le vote blanc n'a certes pas été massif (comment aurait-il pu l'être, alors qu'il n'était recommandé que par la seule Jeunesse Socialiste ?), mais a tout de même pesé trois fois plus lourd qu'à l'habitude.

Genève se retrouve avec une nouvelle charte fondamentale, mollement acceptée le 14 octobre par un petit bout de l'électorat et un plus petit bout encore de la population, qui entrera en vigueur le 1er juin 2013, jour du 200e anniversaire du débarquement des rupestres au Port Noir. D'ici au 1er janvier 2014, le Conseil d'Etat soumettra au Grand Conseil un programme de révision de toute la législation actuelle pour la mettre en conformité avec la nouvelle constitution. Ce programme devra être réalisé le 1er juin 2018.  Les cinq ans à venir vont donc être politiquement passionnants, d'autant que non seulement toutes les nouvelles lois seront soumises à référendum, mais surtout que du camp des opposants défaits le 14 octobre, et du camp des partisans de gauche de la nouvelle constitution, vont sourdre de nombreuses initiatives destinées, les unes à rétablir dans la nouvelle constitution ce qui, venant de l'ancienne, le mérite, les autres à purger le nouveau texte des dispositions contestables qu'il contient, et d'autres encore à y intégrer les réformes qui ont été abandonnées en cours de route par la Constituante au nom de la nécessaire (?) « convergence » centriste nécessaire pour faire passer le texte en vote populaire : l'extension des droits politiques aux étrangers, par exemple. Parce que s'il a fallu raboter le texte pour qu'il passe par l'huis étroit d'un vote populaire dénué de tout enthousiasme, il y est finalement passé et peut être repris, et s'il va définir le cadre général dans lequel l'action politique légale va se situer, il va être modifié par cette action même, comme la constitution de 1847 le fut, plus de 130 fois en 165 ans.

Une constitution, ce n'est qu'un texte, et un texte qui n'a rien de sacré, ni de définitif, ni d'immuable. Un tel texte se travaille, se change, se complète. Bref, se transforme. Et ce sont bien toutes celles et tous ceux qui ne se satisfont pas de ce texte qui vont le reprendre. Toutes et tous, y compris nombre de celles et ceux qui l'ont voté faute de mieux, et toutes celles et tous ceux qui ont voté blanc parce qu'ils ne se contentaient pas de ce piètre avantage du neuf sur le vieux.

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