samedi 27 décembre 2008

Vive la Commune !

La Nation et l'Etat peuvent être des obstacles à la réalisation de la démocratie ; il y a deux manières de dépasser cet obstacle, ou de la contourner : le nomadisme ou la commune. Le dépassement de l'Etat et de la Nation, cela peut être le camp tzigane, qui ignore les frontières et se moque du droit territorial de l'Etat, ou la commune, qui ne prétend pas être une nation mais permet l'exercice immédiat, direct et permanent du contrôle démocratique. A l'Europe des tribus (" modernisées " en nations) et à l'Europe des appareils (l'Union européenne, qui additionne des Etats et leur juxtapose sa propre bureaucratie) peut ainsi être opposée, comme une alternative, l'Europe des Cités. A l'organisation de la stabilité s'oppose celle de la mouvance : la " République moderne " est à concevoir non comme un organisme, mais comme un réseau dont les villes et les communes forment la trame, et dont la logique institutionnelle se fonde sur le principe de subsidiarité et sur le plus " bas " niveau existant de l'institution politique démocratique : le niveau municipal.
La tradition politique occidentale est celle de la souveraineté territoriale de l'Etat, de l'exclusivité de ses compétences à l'intérieur de son territoire. Cette tradition a fait son temps : la souveraineté démocratique, qui lui fut longtemps liée, lui est aujourd'hui contradictoire, et ne peut plus s'exercer pleinement qu'au prix d'un renversement de la logique institutionnelle. C'est à une critique de l'Etat qu'il nous faut nous atteler -une critique qui soit celle de ses racines, et non de ses apparences. L'Etat est aujourd'hui la norme de l'organisation politique des sociétés humaines, mais il en est de cette norme comme de toute autre : arbitraire et contingente, elle est contestable, et contestables sont aussi les conditions de sa réalité, à commencer par cette prétention à l'exercice exclusif d'un pouvoir sans autres limites que celles qu'il se fixe lui-même, par son propre Droit. Au fond, il s'agit de conjuguer deux principes, l'un de légitimité et l'autre d'organisation : le principe de légitimité est celui de la souveraineté populaire, le principe d'organisation est celui de la subsidiarité institutionnelle.

Principe de légitimité et principe d'organisation

La légitimité populaire, d'abord : il ne s'agit pas seulement de proclamer que l'Etat ne doit rien pouvoir faire sans l'acquiescement des citoyens, mais aussi et surtout de proclamer que l'acquiescement ou le mandat de la majorité n'oblige que les institutions et cette majorité elle-même et donc, en d'autres termes, que celles et ceux dont le chois est autre que celui de la majorité ont un droit égal à celle-ci, et tout aussi fondamental, à concrétiser ce choix, si minoritaire soit-il, la seule distinction se faisant sur le mandat donné aux institutions politiques et sociales : ce mandat est donné par la majorité, et son contenu est celui que définit ou que soutient la majorité. Les institutions exécutent ce mandat, ce qui ne signifie nullement que ce mandat épuise la totalité des possibles sociaux et politiques.
La subsidiarité, ensuite : c'est poser comme règle que toute compétence publique est d'abord attribuée au plus " bas " niveau de l'organisation politique, que l'Etat ne doit avoir que les compétences que lui laissent les cités et les communes, qui elles-mêmes n'en doivent avoir que celles que leur laissent les citoyennes et les citoyens librement associés, et qu'au faîte de la structure politique, l'institution " supranationale " (c'est-à-dire supra-étatique, l'Union Européenne, par exemple) ne doit avoir ni plus, ni moins de pouvoir à l'égard des Etats qui la composent que ceux-ci n'en ont à l'égard des instances qui le composent (communes, régions, Etats fédérés etc.). Chaque niveau institutionnel n'abandonnant au niveau " supérieur " que ce que lui-même n'est pas en état d'assumer, le contrôle démocratique peut s'exercer réellement, sur des enjeux réellement maîtrisables par les citoyens, à des niveaux accessibles à un contrôle direct. Une telle règle vaut pour les rapports entre les individus et les groupes, les groupes et les institutions, les différents niveaux institutionnels. Son caractère mouvant, mobile (cette répartition des pouvoirs ne peut être fixée a priori et doit pouvoir être modifiée en tout temps, en fonction des enjeux) assure la sauvegarde de la souveraineté populaire -d'une souveraineté réelle, non d'une souveraineté théorique et rhétorique se réduisant, par le jeu des délégations et des représentations, au fur et à mesure que s'élargir le champ territorial de la compétence de décision : on voit bien en effet à quel point les possibilités de contrôle démocratique direct sont inégales selon qu'il s'agit du niveau municipal ou du niveau national, voire continental. La règle de la subsidiarité est enfin une règle de partage : si l'on part du principe que toute compétence politique est d'abord une compétence de l'échelon premier de l'institution politique, il n'est aucune compétence que cette échelon premier aurait déléguée qu'il ne puisse à tout moment récupérer : ainsi, par exemple, des relations extérieures, de la politique de sécurité ou de la politique monétaire, que l'on ne confiera à l'Etat central ou à une structure continentale (ou mondiale) qu'en gardant par devers soi la capacité de les établir soi-même si besoin est ou si ce qu'en fait l'échelon auquel on les a déléguées ne convient pas, ou plus.
C'est à ces conditions que la souveraineté populaire pourra à tout moment s'exercer réellement sur ce qu'elle est en droit et en mesure de déterminer, et que le pouvoir de l'institution sera ce qu'il ne devrait jamais cesser d'être : un mandat donné, et donc révocable, à un instrument politique. L'institution politique en effet n'est qu'un instrument, et l'Etat, comme toute autre institutions politique (comme la Commune, notamment) n'a de légitimité que dans sa capacité à faire ce que le " peuple souverain " lui enjoint de faire. Or, on sent bien aujourd'hui que toutes les institutions politiques atteignent les limites de leur efficacité, et donc de leur légitimité, qu'elles sont en passe de devenir des obstacles et respect et à l'exercice des droits démocratiques et des libertés fondamentales, et qu'il importe désormais de concevoir des formes d'organisation politique capables de les dépasser -et de dépasser aussi leurs soubassements territoriaux : la paix, le développement, l'équilibre écologique, l'universalité des libertés individuelles et collectives sont autant d'enjeux communs à toutes les nations existantes -et toutes les nations possibles, dès lors que la nation n'est pas une donnée des faits mais le produit d'une volonté.

L'urgence de la réforme

Ainsi voit-on à quoi l'exercice de la réforme institutionnelle peut et doit aboutir : non à " moderniser ", c'est-à-dire à rénover, les formes anciennes d'exercice de la responsabilité collective, mais à en changer fondamentalement. Et il y a urgence : l'exigence d'abolition des frontières territoriales des Etats -qui ne signifie nullement l'abolition du pluralisme des nations- suscite, partout, des oppositions irréductibles, fondées soit sur la vieille identification de l'Etat et de la nation, soit sur l'illusion, plus vieille encore, et infiniment plus dangereuse, de " spécificités nationales " (pour ne pas écrire : " ethniques ") si fondamentales que toute dilution de la souveraineté de l'Etat nation serait un péril collectif. Il se trouve depuis des années une majorité de Suissesses et de Suisses pour considérer, à chaque consultation populaire sur des thèmes liés à la souveraineté de l'Etat dans ses rapports avec " l'extérieur " (son extérieur à lui, l'Etat), que " plus de Monde, c'est moins de Suisse ". Et quand bien même serait-ce, qu'en faudrait-il conclure ? Que la défense de la Suisse telle qu'elle est (ou de la France, du Danemark ou de l'Irlande tel qu'il et elles sont) justifie un refus a priori de tout abandon de quelque pan de la souveraineté nationale ? C'est précisément parce que " plus de Monde ", c'est " moins de Suisse " telle que la Suisse est que nous avons à soutenir les propositions d'intégration continentale et internationale, pour peu qu'elles permettent une ouverture au monde des humains et pas seulement à celui des marchandises et des capitaux. Moins d'Etat-nation, plus de République, nous conduit à dire " oui " à l'Union Européenne ; moins de marchandise, plus de citoyenneté nous conduit à dire " oui " à une autre Europe que celle qu'on nous propose, et ce second " oui " n'annule pas le premier : il le précise.

Ouvrir un débat sur un changement des institutions politiques, c'est ouvrir un débat sur ce qui fonde ces institutions. Les mots de ce débat peuvent être de vieux mots, mais les réalités qu'ils revêtent sont bien de notre temps, et les projets qu'ils expriment sont toujours nôtres. D'entre ces réalités, la moins inquiétante n'est pas l'affadissement de la démocratie, son désarmement face aux puissances financières. Nous savons d'expérience historique à quoi mènent cet affadissement et ce désarmement : à l'emprise de populismes d'autant plus efficacement mobilisateurs qu'ils se fonderont sur cela même qu'ils menacent -la démocratie, précisément, en ce qu'elle suppose non l'adhésion à des mythes nationaux mais au contraire la permanente remise en question de ces mythes et de leur héritage. La réforme institutionnelle est donc bien autre chose qu'une rénovation des appareils de pouvoir, des structures administratives et des répartitions de compétence (et la révision de la constitution, par conséquent, bien plus que la modernisation d'un texte) : elle est une redéfinition, à partir des droits fondamentaux des personnes et des groupes, des règles du jeu politique. C'est en quoi, et seulement en quoi, elle doit nous requérir.

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