mardi 30 septembre 2008

UNE CONSTITUANTE, POUR QUOI FAIRE ?

Avec plus de résignation que d'enthousiasme, les citoyennes et yens genevois ont accepté d'élire une assemblée constituante et de la charger de réécrire la Charte fondamentale de la République. Non que les dits citoyennes et yens aient ressenti le besoin impérieux de réformer les institutions genevoises : ils ont seulement pris acte de ce que ce besoin était impérieusement ressenti par d'autres (le groupe formé autour du professeur Andreas Auer), et n'ont vu aucune objection à laisser 80 personnes s'ébrouer dans une assemblée mandatée pour produire un texte qui de toute façon sera soumis au vote populaire -et que le vote populaire pourra donc renvoyer à ses auteurs. Tous les partis, et une palanquée de groupes s'affirmant non partisans et "issus de la société civile" (comme si les partis politiques étaient issus d'ailleurs -mais d'où ? de la cléricature religieuse ? de l'armée ?), présentent des listes à l'élection de la Constituante (le PS présente quarante candidates et candidats, dont un tiers ne sont pas membres du parti). Le 19 octobre, on saura de quoi et de qui la Constituante sera faite. Mais pas vraiment à quoi elle va servir. A réformer les institutions ou à lisser leurs règles de fonctionnement ? A étendre les droits politiques et sociaux ou à les conformer à un cadre juridique réputé "supérieur" (le cadre fédéral, tant qu'on ignore que ce cadre "supérieur" est lui-même soumis à un cadre encore plus "supérieur" : les grands textes du droit international) ?

La droite n'a pas fait mystère de ses intentions de réduire les engagements de la République au strict nécessaire -et le strict nécessaire, pour la droite, c'est toujours l'Etat gendarme, et rien que l'Etat gendarme, ne garantissant qu'un droit : celui à la propriété privée; l'extrême-droite, elle, mettait les pieds au mur -non que l'actuelle Constitution lui convienne, mais parce qu'elle craint une avancée des droits politiques pour les étrangers, et une avancée des droits sociaux pour tous; enfin, la "gauche de la gauche" (ou réputée telle, par elle-même) craignait, à l'inverse, une réduction des droits politiques et des droits sociaux. Quant au PS, il s'est avancé en faveur de la révision constitutionnelle, avec une "feuille de route" énonçant, sans les préciser, les grands axes de ses revendications (extension de droits politiques et sociaux, construction d'un espace politique régional, transfrontalier et démocratique, prise en compte des changements sociaux)...

Une Constitution, cela peut être un programme politique ou un constat notarial. Le programme politique dit où l'on veut aller, le constat notarial dit où on en est. L'exercice du constat est donc le plus aisé : il ne consiste après tout qu'à décrire l'état des choses. Mais dès lors que les ambitions constituantes s'élèvent au-dessus de celles de l'arpenteur institutionnel, les grands débats et les grands clivages surgissent, entre la gauche et la droite, à l'intérieur de la gauche et de la droite, et, transversalement, selon des lignes de front qui rompent l'opposition des camps politiques constitués : libertaires contre autoritaires, laïques contre confessionnels, libre-échangistes contre protectionnistes, autonomistes contre centralistes, internationalistes contre nationalistes, et j'en passe... De toutes ces lignes de fracture, celle qui devrait nous importer le plus est celle qui va opposer les forces qui veulent renforcer le champ du politique (et de la démocratie) face à l'économie et à la marchandise, d'une part. et les forces qui se satisfont pleinement (ou qui veulent l'étendre encore) de l'emprise du marché, d'autre part. La Constituante, ça pourrait être le champ (pas clos, puisque la joute se livre devant la Cité) de l'affrontement de la République et du Marché.

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