dimanche 17 février 2008

Courage, fuyons !


Vous l'ignoriez ? Genève est une République socialiste. Et sa constitution est parfaite. Définitive. Intouchable. Vouloir en changer, proposer l'élection d'une Constituante pour en écrire une nouvelle, et la proposer au peuple, ouvrir un lieu de débat sur les institutions, les droits sociaux, les libertés individuelles et collectives, tout cela ne relève que d'un complot ultralibéral fomenté par le patronat, le lobby nucléaire, les spéculateurs immobiliers, les intégristes religieux et les chasseurs. La Constitution actuelle est ultime. Il n'y a rien à y ajouter : plus aucun droit à conquérir, plus aucune liberté à étendre, plus aucune institution à changer ou à créer. Pas touche à la Constitution radicale de 1847 ! Si on y touche, tout s'effondre. Si on élit une Constituante, elle sera forcément de droite, produira forcément un texte de droite, rétablira la chasse, les centrales nucléaires, le suffrage censitaire, les congés-vente, la peine de mort et le droit de cuissage, abolira la laïcité, instaurera la charia et sera aveuglément accepté par le peuple, c'est mécanique, fatal, inscrit dans les astres et dans l'histoire, on n'y peut rien, on n'a qu'une chose à faire : appuyer sur le frein, faire le gros dos, refuser toute espèce de débat et repousser toute tentative de changement.
Le plus invraisemblable est que cette paranoïa défaitiste, nous l'entendons et la lisons exprimée par feue la gauche révolutionnaire, apparemment réduite à un carré de vieux grenadiers affalés sur leurs pétoires pour défendre un texte vieux de 160 ans, qui ne reconnaît ni le droit de grève, ni le droit d'éligibilité des étrangers au plan communal, ni leur droit de vote au plan communal, ni le droit à un salaire minimum, ni le droit à un revenu minimum, et ne proclame des droits sociaux fondamentaux (au logement, au travail...) qu'avec la ferme intention de n'en rien concrétiser... Et c'est cela qu'il nous faudrait défendre, de cela qu'il faudrait nous contenter ?
Surfant sur ce défaitisme (D'où nous venaient, déjà, ces vieux slogans : "Compter sur ses propres forces", "oser lutter, oser vaincre" ? De la gauche révolutionnaire ? Ils ont dû se perdre en route...), "Le Courrier" considère (dans l'édito de Bach du 14 février) que "la vraie question qui se posera en cas de 'oui' (à la Constituante) sera bien celle de la capacité à créer un rapport de force sur le terrain pour éviter une liquidation politique des acquis de luttes politiques fondamentales". Comme s'il n'y avait d'alternative qu'entre cette "liquidation" et le statu quo. La "vraie question" ne se réduit pas à ce dilemne déprimant, ni la "vraie réponse" à une posture défensive : il s'agit bien de créer un "rapport de force sur le terrain", y compris celui de la Constituante, non pour s'en tenir aux acquis mais pour les prolonger, les accroître, les renforcer; pour reconnaître le droit de grève, accorder le droit de vote et d'éligibilité aux étrangers, créer un espace démocratique transfrontalier, rendre les droits sociaux "opposables" à l'Etat, renforcer les services publics, démocratiser leur gestion, étendre les droits syndicaux, soumettre toute privatisation au référendum obligatoire, étendre les compétences de la Ville de Genève... toutes revendications qu'il nous faudrait un siècle pour concrétiser (si on y arrive) par d'innombrables tentatives de révisions constitutionnelles partielles, et que nous pouvons ici avancer en un même moment (la révision de la constitution), et un même lieu (la Constituante). A pareil exercice, nous n'avons rien à perdre, qu'un peu de temps et un peu d'énergie. Et nous pouvons gagner beaucoup plus, beaucoup plus vite, qu'en une interminable succession de combats toujours partiels, souvent défensifs, parfois épuisants.
A la condition, toutefois, de ne pas partir vaincus d'avance. Les seuls combats qu'on est sûr de perdre ne sont-ils pas ceux que l'on craint de livrer ?

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