lundi 19 novembre 2007

POUR UNE CONSTITUTION DESIRANTE

par Stefan Kristensen.

S.ROLNIK et F.GUATTARI, «Micropolitiques», éd. du Seuil / coll. Les Empêcheurs de penser en rond, 2007

Dans un numéro consacré à la Constituante et à des questions concrètes telles que les répartitions de compétences entre le Canton et les communes, je propose ici une lecture qui concerne un niveau beaucoup plus fondamental du vivre-ensemble. La société précède la Constitution et celle-ci ne fait que formaliser des pratiques ou des rapports de force déjà établis.

L’enjeu du livre de Rolnik et Guattari est la structuration du champ social en mouvements de désirs collectifs, de créativités imprévisibles et de revendications nouvelles. Où se situe le pouvoirréel ? Par quels processus des collectifs de résistance se forment-ils ? Quel rôle la production culturelle joue-t-elle dans la formation d’individus et de groupes conscients d’eux-mêmes? Comment une structure politique laisse-t-elle place à des subjectivités nouvelles et imprévisibles ? De telles questions traversent ce livre issu d’un voyage de Félix Guattari au Brésil au début des années 80, au moment de l’émergence des mouvements sociaux et politiques tels que les Sans terre ou le Parti des travailleurs (PT) qui ont eu tant d’influence sur la pensée et les pratiques alternatives des dernières décennies.Guattari donne des conférences dans des cercles de militants politiques, de psychanalystes, d’artistes, d’éducateurs, de minorités, etc. Chacune de ces rencontres est l’occasion d’un développement de ses idées, mais aussi d’un débat sur le rôle de chacun des groupes dans un processuspolitique émergent. En effet, le Brésil de 1980 allait vers ses premièresélections libres après une longue dictature militaire. Au fil de ces rencontres, Guattari cherche à articuler le niveau «micropolitique» et le niveau «macropolitique», c’est-à-dire la logique du désir et de la création avec celle des normes et des cadres politiques, concrètement à l’époque, il s’agissait d’intégrer les mouvements sociaux émergents dans le PT de Lula, le futur président. Ce problème est aigu, aussi à Genève, lorsqu’il s’agit, par exemple, de préserver le lien entre les squatteurs et les organisations politiques de gauche. L’un des moments les plus bouleversants du livre est quand Guattari décrit la manière dont le système capitalistique actuel produit une subjectivité culpabilisée. Le système a besoin que les individus et les groupes aient une conscience de soi suffisamment fragile pour faireen sorte que jamais n’apparaisse quoi que ce soit d’imprévu ni de troublant. La vieillesse, la maladie, mais aussi l’affirmation du désir et l’apparition d’un désordre sont réprimés : «Il y a toujours un aménagement qui tente de prévoir tout ce qui peut être de la nature d’une dissidence de la pensée et du désir. Tout ce qui surprend, même légèrement, doit être classable dans une zone d’encadrement, de référenciation.» Guattari, cependant, ne se contente pas de dénoncer le système, mais il montre que cette situation «apporte d’immenses possibilités de déviance et de réappropriation.» Le corollaire de cette critique institutionnelle est qu’une politique progressiste (voire révolutionnaire) doit toujours être comprise dans la perspective d’un processus d’appropriation par les sujets de leur vie. En d’autres termes, la vision juridique qui domine notre société aujourd’hui est le principal obstacle à la mise en place d’organisations catalysant réellement le changement.

Sur les auteurs : Félix Guattari (1930-1992) était philosophe, psychiatre et militant politique / Suely Rolnik est psychanalyste, critique culturelle et professeure à l’Université catholique de Sao Paulo.

Aucun commentaire: